PAUL ELUARD & ANDRÉ BRETON
L’AMOUR
L'amour réciproque, le seul qui saurait nous occuper ici, est celui qui met en jeu l'inhabitude dans la pratique, l'imagination dans le poncif, la foi dans le doute, la perception de l'objet intérieur dans l'objet extérieur. Il implique le baiser, l'étreinte, le problème et l'issue indéfiniment problématique du problème.
L'amour a toujours le temps. Il a devant lui le front d'où semble venir la pensée, les yeux qu'il s'agira tout à l'heure de distraire de leur regard, la gorge dans laquelle se cailleront les sons, il a les seins et le fond de la bouche. Il a devant lui les plis inguinaux, les jambes qui couraient, la vapeur qui descend de leurs voiles, il a le plaisir de la neige qui tombe devant la fenêtre. La langue dessine les lèvres, joint les yeux, dresse les seins, creuse les aisselles, ouvre la fenêtre; la bouche attire la chair de toutes ses forces, elle sombre dans un baiser errant, elle remplace la bouche qu'elle a prise, c'est le mélange du jour et de la nuit. Les bras et les cuisses de l'homme sont liés aux bras et aux cuisses de la femme, le vent se mêle à la fumée, les mains prennent l'empreinte des désirs.
On distingue les problèmes en problèmes du premier,du second et du troisième degré. Dans le problème du premier degré, la femme s'inspirant des sculptures Tlin-kit de Nord-Amérique, recherchera l'étreinte la plus parfaite avec l'homme ; il s'agira de ne faire à deux qu'un seul bloc. Dans celui du second degré, la femme, prenant modèle sur les sculptures Haïda d'origine à peine différente, fuira le plus possible cette étreinte; il s'agira de ne se toucher qu'à peine, de ne se plaire à rien tant qu'au délié.
Dans celui du troisième degré, la femme adoptera tour à tour toutes les positions naturelles. La fenêtre sera ouverte, entr'ouverte, fermée, elle donnera sur l'étoile, l'étoile montera vers elle, l'étoile devra l'atteindre ou passer de l'autre côté de la maison.
1. Lorsque la
femme est sur le dos et que l'homme est couché sur elle,
c'est la cédille.
2. Lorsque
l'homme est sur le dos et que sa maîtresse est couchée sur lui,
c'est le c.
3. Lorsque
l'homme et sa maîtresse sont couchés sur le flanc et s'observent,
c'est le pare-brise.
4. Lorsque
l'homme et la femme sont couchés sur le flanc, seul le dos de la femme se
laissant observer,
c'est la Mare-au-Diable.
5. Lorsque
l'homme et sa maîtresse sont couchés sur le flanc, s'observant, et qu'elle
enlace de ses jambes les jambes de l'homme, la fenêtre grande ouverte,
c'est l'oasis.
6. Lorsque
l'homme et la femme sont couchés sur le dos et qu'une jambe de la femme est en
travers du ventre de l'homme,
c'est le miroir brisé.
7. Lorsque
l'homme est couché sur sa maîtresse qui l'enlace de ses jambes,
c'est la vigne-vierge.
8. Lorsque
l'homme et la femme sont sur le dos, la femme sur l'homme et tête-bêche, les
jambes de la femme glissées sous les bras de l'homme,
c'est le sifflet du train.
9. Lorsque la
femme est assise, les jambes étendues sur l'homme couché lui faisant face, et
qu'elle prend appui sur les mains,
c'est la lecture.
10. Lorsque la
femme est assise, les genoux pliés, sur l'homme couché, lui faisant face, le
buste renversé ou non,
c'est l'éventail.
11. Lorque la
femme est assise de dos, les genoux pliés, sur l'homme couché,
c'est le tremplin.
12. Lorsque la
femme, reposant sur le dos, lève les cuisses verticalement,
c'est l'oiseau-lyre.
13. Lorsque la femme,
vue de face, place ses jambes sur les épaules de l'homme,
c'est le lynx.
14. Lorsque les
jambes de la femme sont contractées et maintenues ainsi par l'homme contre sa
poitrine,
c'est le bouclier.
15. Lorsque les
jambes de la femme sont contractées, les genoux pliés à hauteur des seins,
c'est l'orchidée.
16. Lorsqu'une
des jambes seulement est étendue,
c'est minuit passé.
17. Lorsque la
femme place une de ses Jambes sur l'épaule de l'homme et étend l'autre jambe,
puis met celle-ci à son tour sur l'épaule et étend la première, et ainsi de
suite alternativement,
c'est la machine à coudre.
18. Lorsqu'une
des jambes de la femme est placée sur la tête de l'homme, l'autre jambe étant
étendue,
c'est le premier pas.
19. Lorsque les
cuisses de la femme sont élevées et placées l'une sur l'autre,
c'est la spirale.
20. Lorsque
l'homme, pendant le problème, tourne en rond et jouit de sa maîtresse sans la
quitter, celle-ci ne cessant de lui tenir les reins embrassés,
c'est le calendrier perpétuel.
21. Lorsque l'homme
et sa maîtresse prennent appui sur le corps l'un de l'autre, ou sur un mur et,
se tenant ainsi debout engagent le problème,
c'est à la santé du bûcheron.
22. Lorsque
l'homme prend appui sur un mur et que la femme, assise sur les mains de l'homme
réunies sous elle, passe ses bras autour de son cou et, collant ses cuisses le
long de sa ceinture, se remue au moyen de ses pieds dont elle touche le mur
contre lequel l'homme s'appuie,
c'est l'enlèvement en barque.
23. Lorsque la
femme se tient à la fois sur ses mains et sur ses pieds, comme un quadrupède,
et que l'homme reste debout,
c'est la boucle d'oreille.
24. Lorsque la
femme se tient sur ses mains et ses genoux et que l'homme est agenouillé,
c'est la Sainte-table.
25. Lorsque la
femme se tient sur ses mains et l'homme debout la tient soulevée par les
cuisses, celles-ci lui enserrant les flancs,
c'est la bouée de sauvetage.
26. lorsque
l'homme est assis sur une chaise et que sa maîtresse, lui faisant face, est
assise à califourchon sur lui,
c'est le jardin public.
27. Lorsque
l'homme est assis sur une chaise et que sa maîtresse, lui tournant le dos est
assise à califourchn sur lui,
c'est le piège.
28. Lorsque
l'homme est debout et que la femme repose le haut de son corps sur le lit, ses
cuisses enserrant la taille de l'homme,
c'est la tête de Vercingétorix.
29. Lorsque la
femme est accroupie sur le lit devant l'homme debout contre le lit,
c'est le jeu de la puce.
30. Lorsque la
femme est à genoux sur le lit, face à l'homme debout contre le lit,
c'est le vétiver.
31. Lorsque la
femme est à genoux sur le lit, tournant le dos à l'homme debout contre le lit,
c'est le baptême des cloches.
32. Lorsque-la
vierge est renversée en arrière, le corps puissamment arqué et reposant sur le
sol par les pieds et les mains, ou mieux par les pieds et la tête, l'homme
étant à genoux,
c'est l'aurore boréale.
L'amour multiplie
les problèmes. La liberté furieuse s'empare des amants plus dévoués l'un à
l'autre que l'espace à la poitrine de l'air. La femme garde toujours dans sa
fenêtre la lumière de l'étoile, dans sa main la ligne de vie de son amant.
L'étoile, dans la fenêtre, tourne lentement, y entre et en sort sans arrêt, le
problème s'accomplit, la silhouette pâle de l'étoile dans la fenêtre a brûlé le
rideau du jour.
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