PIERRE REVERDY
LA TÊTE PLEIN DE BEAUTÉ
Dans l’abîme doré, rouge,
glacé, doré, l’abîme où gîte la douleur, les tourbillons roulants entraînent
les bouillons de mon sang dans les vases, dans les retours de flammes de mon
tronc. La tristesse moirée s’engloutit dans les crevasses tendres du coeur. Il
y a des accidents obscurs et compliqués, impossibles à dire. Et il y a pourtant
l’esprit de l’ordre, l’esprit régulier, l’esprit commun à tous les désespoirs
qui interroge. Ô toi qui traînes sur la vie, entre les buissons fleuris et
pleins d’épines de la vie, parmi les feuilles mortes, les reliefs de triomphes,
les appels sans secours, les balayures mordorées, la poudre sèche des espoirs,
les braises noircies de la gloire, et les coups de révolte, toi, qui ne
voudrais plus désormais aboutir nulle part. Toi, source intarissable de sang.
Toi, désastre intense de lueurs qu’aucun jet de source, qu’aucun glacier
rafraîchissant ne tentera jamais d’éteindre de sa sève. Toi, lumière. Toi,
sinuosité de l’amour enseveli qui se dérobe. Toi, parure des ciels cloués sur
les poutres de l’infini. Plafond des idées contradictoires. Vertigineuse pesée
des forces ennemies. Chemins mêlés dans le fracas des chevelures. Toi, douceur
et haine—horizon ébréché, ligne pure de l’indifférence et de l’oubli. Toi, ce
matin, tout seul dans l’ordre, le calme et la révolution universelle. Toi, clou
de diamant. Toi, pureté, pivot éblouissant du flux et du reflux de ma pensée
dans les lignes du monde.
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